>> Bonjour, Dominique Bourg.
Première question, pouvez-vous nous dire à quand remontent les problèmes écologiques?
>> À quand remontent les problèmes écologiques?
En général, si on pose la question, dans un micro-troittoir,
que sais-je, les gens vont nous dire fin des années 60, début des années 70.
Il y a le rapport au Club de Rome, le Sommet de Stockholm, etc.
En fait, non, les problèmes écologiques, ils remontent bien avant.
On peut dire que dès l'après Deuxième Guerre mondiale,
les choses repartent précisément, elles repartent, elles ne datent pas de là.
En fait, le mouvement, l'origine du mouvement des idées écologiques, eh bien,
il accompagne tout simplement la naissance et le développement de la
civilisation industrielle, d'ailleurs plus justement de la civilisation
thermo-industrielle pour reprendre une expression de Jacques Grinevald.
Parce que c'est vraiment l'énergie fossile et dans le cours du développement
de cette civilisation, les énergies fossiles qui sont vraiment le fondement,
le ressort, le moteur de la civilisation industrielle.
Or, on peut dire que les choses commencent vraiment à s'étendre, que le
mouvement de la civilisation industrielle va se répandre dans les pays occidentaux,
Japon compris, un peu plus tard pour le Japon.
Mais entre 1820-1840, 1830-40, c'est vraiment le moment de bascule,
c'est le moment où effectivement les énergies fossiles, enfin,
et le charbon deviennent vraiment le fondement de cette société.
Et on voit les choses changer, on passe vraiment vers autre chose.
Eh bien, c'est à ce moment-là, avec les débuts en quelque sorte des dégâts
de la civilisation industrielle, que naît une forme de conscience écologique.
Alors, le mot écologie va venir à peine plus tard, c'est
Ernst Haeckel le grand savant allemand qui va baptiser cette discipline nouvelle.
Je rappelle, l'écologie comme science, eh bien,
c'est l'étude des relations que les espèces entretiennent et les individus,
les uns avec les autres, et puis les espèces au milieu.
Donc cette science naît et là on va voir apparaître une conscience très,
très particulière de ces dégradations et elle va être différente
entre les États-Unis et l'Europe, ce n'est pas les mêmes problèmes
qui vont susciter les premières prises de conscience.
Aux États-Unis, ce qui va susciter les premières prises de conscience c'est une
déforestation massive et extrêmement rapide.
Au début de la colonisation anglaise, eh bien,
le continent nord-américain est quasiment couvert de forêts.
À la fin du XIXe siècle, on ne voit plus que des petites
taches vertes sur la carte qui représente les États-Unis.
Un des auteurs dit, eh bien, lorsqu'un yankee s'empare d'une hache,
c'est une forme de folie, de destruction qui s'empare de lui.
Et c'est ça qui va vraiment susciter un sentiment nouveau,
un sentiment de destruction accélérée du milieu dont on va très vite penser qu'il
peut même à terme mettre en danger l'espèce.
Côté européen évidemment les conditions sont très différentes puisque
là on a une anthropisation avec une culture dèjà,
alors moderne, pas encore industrielle, mais avec une urbanisation,
une artificialisation qui sont beaucoup plus anciennes, et puis les pressions sur
les forêts qui sont elles-mêmes beaucoup, beaucoup plus anciennes.
Et donc là ce n'est pas la déforestation, même si pourtant elle atteint son maximum
là encore à peu près à la même époque, ce n'est pas
elle qui va être l'élément moteur, mais ce sont plutôt les débuts de l'industrie.
C'est vraiment les dégâts, par exemple les dégâts occasionnés par une soudière
étaient extrêmement visibles, ça noircissait le paysage alentour, etc.
Donc c'est vraiment les dégâts de l'industrie qui vont
susciter une réflexion nouvelle et là encore,
ce qui est important c'est que ce soit aux États-Unis ou que ce soit en Europe,
eh bien, et on le verra tout à l'heure, finalement c'est
presque un ton un peu apocalyptique qui va se faire jour très rapidement.
Donc, encore une fois, les problèmes écologiques ne remontent pas aux
années 60, 70, ils remontent bien plutôt,
ils remontent au XIXe siècle, 1830, 1840, 1850, 1860,
c'est là que les choses prennent leur essor.
Après la Deuxième Guerre mondiale, on a tout de suite un retour de ces questions.
ils avaient en quelque sorte mis entre parenthèse pendant la guerre et je dirais
même pratiquement, à quelques exceptions près, pendant l'entre-deux-guerres, ça
recommence tout de suite assez fortement, mais effectivement on va vraiment
toucher fortement l'opinion publique à compter du début de la décennie 60,
notamment avec le livre de Rachel Carson, Le printemps silencieux, Silent Spring,
c'est là vraiment que les choses vont démarrer et vont toucher le grand public,
et pas seulement aux États-Unis, mais dans différents pays occidentaux.
>> Et aujourd'hui alors, où en sommes-nous?
Pouvez-vous nous faire un état des lieux de la situation actuelle?
>> Alors évidemment la situation a bien changé,
évidemment par rapport au XIXe siècle, mais aussi par rapport aux années 60,
là nous sommes au début du XXIe siècle et on peut distinguer
deux fronts différents en matière de question environnementale.
On a un premier front qui est constitué par les différentes
déplétions des ressources sans lesquelles nos activités,
nos activités économiques, nos activités humaines en général ne sont pas possibles.
Nos activités économiques sont très gourmandes en ressources,
alors la première des ressources qui aujourd'hui commencent à être sous
tension et pour deux raisons, ce sont les ressources fossiles.
C'est-à-dire que en fait, aujourd'hui, on doit par exemple,
si l'on considère le pétrole, eh bien, on doit désormais, depuis
même maintenant plus d'une décennie, aller le chercher, en tout cas une partie,
dans des gisements plus profonds, dans des conditions extrêmes, donc
à un coût énergétique beaucoup plus élevé, donc on a une tension sur les fossiles.
L'autre aspect de la tension sur les fossiles,
bien évidemment c'est le changement climatique.
Nous devrions réduire nous-mêmes, même indépendemment des difficultés que
je soulignais dans notre consommation de fossiles.
On connait une très vive tension sur les minéraux,
et là aussi ce n'est pas l'abondance des ressources qui est en cause,
dans certains cas par exemple, si on prend le fer, c'est 5 % de la croûte terrestre,
mais en revanche toute la difficulté, eh bien, c'est que normalement les minéraux
sont relativement disséminés sur Terre et ils n'ont été concentrés que dans de rares
endroits pour des raisons telluriques, parfois des raison bactériennes.
et il n'y a que dans ces conditions-là qu'on est capable de les exploiter.
C'est-à-dire que encore une fois, là aussi c'est l'énergie qui est la clé.
À partir d'un certain degré de concentration du minerais,
c'est trop coûteux énergétiquement de l'exploiter.
On doit excaver, ensuite traiter des quantités
phénoménales de matière pour retirer quelques tonnes du métal qu'on recherche.
Donc là aussi en quelque sorte nous avons mangé notre pain blanc et dans le siècle,
eh bien,
la plupart des ressources minérales vont se raréfier quasi-absolument.
On a même un problème de sable.
Alors, vous me direz, mais il y a beaucoup de sable dans les déserts, oui,
mais ils ne présentent pas les mêmes qualités,
on ne peut pas en tirer les mêmes usages industriels, donc le sable on doit aller
le chercher dans les rivières et là on a à peu près ratissé presque tout,
on doit maintenant aller le chercher dans des fonds marins,
là aussi à un coût énergétique, un coût environnemental important.